Ibrahim a toujours eu envie de créer son entreprise, il nous raconte : « Après un bac pro en électronique en métropole, je me suis formé comme réparateur spécialisé en électroménager. J’ai exercé ce métier pendant dix ans, mais j’ai toujours eu cette envie de me mettre à mon compte. Quand je suis retourné à Mayotte, mon envie a commencé à se concrétiser. J’ai vu qu’il y avait une opportunité et un vrai manque de personnel qualifié. C’est ce qui m’a décidé de me lancer.
Mon objectif est de partager et transmettre mon savoir-faire. À Mayotte, le niveau d’éducation est faible, et de nombreux jeunes se retrouvent dans la rue, ce qui crée des crises sociales. Les jeunes sans perspectives finissent par s’ennuyer et causent des troubles. Mon projet vise à contribuer à un système qui ramène ces jeunes vers un comportement plus responsable en leur offrant des compétences qui leur permettront d’avoir un meilleur avenir. C’est une richesse et une grande satisfaction pour moi de participer à cela.
Depuis 2023, je suis formateur indépendant, et j’aime aussi sensibiliser la population à ne pas jeter les appareils défectueux. Depuis 2016, j’ai remarqué un changement : les habitants comprennent mieux qu’un appareil en panne peut être réparé. Avant, ils attendaient parfois jusqu’à deux semaines pour des réparations, ce qui est impossible pour un frigo. Les conséquences de ces pannes non réparées sont graves : les appareils s’accumulent dans la nature et polluent.
Au début, je ne voulais pas chercher un travail salarié. Mes collègues m’avaient prévenu que les réparateurs sur l’île étaient souvent peu compétents, et les clients n’avaient pas confiance. Ils préféraient payer cher pour racheter un appareil neuf. J’ai observé le fonctionnement du marché sur l’île, notamment comment s’approvisionner en pièces détachées. Les déchets ne sont pas valorisés, et l’approvisionnement en pièces est compliqué. Pourtant, beaucoup de pièces sont compatibles avec beaucoup d’appareils, même si les marques changent.
Je travaille aussi à débloquer l’accès à des stocks d’appareils dans les déchetteries. C’est spécifique et en cours de structuration avec des organismes comme Ecosystem et QualiRépar. La labellisation est en cours pour permettre de débloquer cette situation. Sinon, je travaille en association ou en collaboration avec d’autres structures.
Lorsque j’ai démissionné pour lancer mon projet, je me suis inscrit comme demandeur d’emploi. J’ai cherché de l’accompagnement à Mayotte, et on m’a mis en relation avec BGE Mayotte. Avec eux, j’ai effectué une formation pour jeunes entrepreneurs. À l’issue de cette formation on m’a transmis un manuel sur l’entrepreneuriat qui synthétise tout ce que j’ai appris : comment gérer son entreprise, ce qu’il faut éviter et ce qu’il faut faire. Cela m’a permis de mieux réfléchir à mon projet, de le structurer et d’être moins stressé.
Je ne connaissais pas tous les aspects à gérer pour créer une entreprise. J’avais initialement pensé à créer plutôt une association, mais j’ai changé d’avis car elles finissent souvent par disparaître à cause de problèmes de gouvernance interne. Je voulais rester maître de mon projet parce que je savais qu’il était viable, alors j’ai choisi un statut juridique d’entreprise individuelle. Ce statut était plus simple et rapide à mettre en place, surtout que des associations et des centres de formation avaient déjà besoin de mes services. Ça m’a permis de commencer rapide et je me suis dit que je changerais de statut si mon activité évoluait.
Grâce à l’accompagnement de BGE Mayotte, j’ai aussi participé à des concours comme « Talents des Cités » et « Mon incroyable commerce ». J’ai gagné plusieurs prix, dont celui du « coup de cœur » et du « super-lauréat » avant de remporter le Prix France Travail de Talents des Cités à l’Élysée. Cela a boosté la notoriété de mon projet et m’a permis de me développer. Ces concours demandent beaucoup de temps et de préparation, mais ils renforcent la confiance et aident à structurer les démarches.
J’ai appris à être rigoureux dans la gestion administrative, notamment pour les déclarations et factures. Beaucoup d’entreprises ferment à cause d’un manque de rigueur. Je prends donc le temps de m’assurer que tout est en ordre, même si cela peut être rébarbatif, cela me permet de ne pas redouter les contrôles.
Au départ, je me suis fait connaître par le bouche-à-oreille. Je n’ai pas eu l’impression de devoir vraiment chercher des clients, car j’avais déjà une base grâce à mon expérience précédente. J’ai tout de même créé un compte Facebook pour améliorer ma visibilité, distribué des cartes de visite et fait floquer mon véhicule. Les images d’appareils sur mon compte attirent aussi des clients, car elles rendent mes services plus accessibles à une population qui ne sait pas toujours lire.
Aujourd’hui, je travaille avec un technicien qui a un an d’expérience. Il est autonome, mais je le guide encore sur certains diagnostics compliqués. J’ai aussi développé une partie formation pour former des jeunes à ce métier. Au début, je pensais que ce ne serait pas possible tout de suite, mais à force de démarches, j’ai réussi à collaborer avec le RSMA (Régiment du Service Militaire Adapté) à Mayotte.
Je suis satisfait d’avoir pu structurer ce projet et le faire évoluer. J’aime trouver des solutions, résoudre des problèmes et être utile à la population de mon île. Cela me motive à continuer à développer mon entreprise. »
Crédit photo de couverture : Thierry Sauvage